LES FAITS
L’émission matinale de la station de rock CFNY-FM (102.1 The Edge, Toronto), le Dean Blundell Show, est diffusée du lundi au vendredi de 5 h 30 à 10 h et est animée par Dean Blundell, Todd Shapiro et Derek Welsman. On y présente des mises à jour sur la circulation automobile, les nouvelles et la météo, des chansons et des plaisanteries entre les animateurs.
Le 15 septembre 2011, à 6 h 33, les animateurs ont discuté d’un reportage portant sur deux personnes retrouvées pendues sous un pont au Mexique. La conversation s’est déroulée comme suit :
[Traduction]
Blundell : J’allais garder cette histoire pour, euh, – c’est une histoire horrible – garder cette histoire pour la présenter dans la séquence The Edge Files, mais elle est trop bonne. Euh, vous savez qu’au Mexique les cartels de la drogue prennent… comme… ils tuent tout le monde? Ils leur coupent la tête, les jettent au fond d’un puits? Deux cadavres pendus sous un pont pour piétons comme des quartiers de viande. Une femme, pieds et mains liés, éventrée, ses intestins exposés.
Shapiro : Yech!
Blundell : Puis, la même chose pour l’autre, un gars. Ses, ses, ses pieds étaient attachés. Ses pieds étaient attachés, ses tripes pendaient et il était, tu sais, [il ricane]. Son épaule droite était entaillée si profondément qu’on voyait l’os. Les messages laissées près du, des cadavres, deux personnes dans la vingtaine, indiquaient qu’elles ont été tuées pour avoir dénoncé les trafiquants sur des réseaux sociaux.
Shapiro : Oh wow. À propos de la drogue?
Blundell : Ouais, ils ont dit, oh, alors, euh, tu sais, les trafiquants de drogue, euh, doivent cesser leurs activités. Alors c’est une, c’est la pancarte et voici ce qui y est écrit : [feignant un accent mexicain] « Voilà le sort de tous ceux qui publient des bêtises sur Internet ». On lit sur une des pancartes [il reprend son accent mexicain] « Vous avez intérêt à faire bien [« f-ing » en anglais] attention parce que nous vous aurons. » Et je me suis dit, Seigneur, il y a quelqu’un qui déteste Facebook plus que moi? [Blundell et Shapiro rient] C’est pas mal poussé. Facebook tue.
Shapiro : Je ne veux même pas être associé à cette histoire. [Blundell et Shapiro rient] Tu sais? C’en est une bonne, Dean.
Blundell : Tu veux juste [???] on tournera tout ça en farce sur les ondes! [encore des rires]
Shapiro : Dean, c’était excellent ce reportage que tu as signalé. Vraiment formidable. Tu nous a vraiment pris au dépourvu quand tu –
Blundell : Ouais, ouais, je sais. Totalement. Ouais, ouais.
Welsman : [?] en parler.
Blundell : [feignant un accent mexicain] « Je t’ai dit une chose. Facebook c’est tellement gai, ils pendent les gens sous les ponts au Mexique. Hé, devine qui n’est pas célibataire? » [rires] « Parce qu’il est mort! Statut : Étripé. »
Shapiro : Ouais. [il rit]
Welsman : C’est compliqué.
Blundell : [feignant encore un accent mexicain] « Dégoulinant de sang sous un pont. Mot-clic, c’est nul. » [ils rient tous] « J’aurais dû arrêter cette bêtise du clavier. Mets ces photos en ligne. » [encore des rires]
Un auditeur s’est plaint au CCNR le 22 septembre qu’il était [traduction] « tout à fait répugnant et dégoûtant » que des animateurs blaguent au sujet de victimes de meurtre et que leur conversation s’étire sur plusieurs minutes. Quand elle a répondu au plaignant le 24 octobre, la station a convenu que [traduction] « la discussion était explicite et désagréable », mais a soutenu que [traduction] « le caractère désagréable tenait à l’aspect atroce de ce qui s’était en fait passé ». Elle a ajouté que les animateurs ont tenté [traduction] « d’injecter un peu de légèreté », mais a admis que tous les auditeurs n’auraient pas trouvé cela drôle. La station a, par ailleurs ajouté, qu’à son avis le contenu en question n’enfreignait aucun des codes sur la radiodiffusion. Jugeant la réponse de CFNY-FM [traduction] « inacceptable », le plaignant a déposé une Demande de décision le 15 novembre (le texte intégral de toute la correspondance y afférente se trouve à l’annexe, en anglais seulement).
LA DÉCISION
Le Comité régional de l’Ontario du CCNR a étudié la plainte à la lumière des dispositions suivantes du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :
Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée
C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission‑débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.
Article 9 – Radiodiffusion
Reconnaissant que la radio est un média local et qu’il reflète par conséquent les normes de la collectivité desservie, les émissions diffusées aux ondes d’une station de radio locale doivent tenir compte de l’accès généralement reconnu à la programmation qui est disponible sur le marché, de la répartition démographique de l’auditoire de la station et de la formule empruntée par la station. Dans ce contexte, les radiodiffuseurs prendront un soin particulier de veiller à ce que les émissions diffusées à l’antenne de leurs stations ne comprennent pas :
Après avoir lu toute la correspondance afférente et écouté la séquence en cause, les membres du Comité décideur ont conclu que la diffusion a enfreint les articles 6 et 9 du Code de déontologie de l’ACR.
L’alinéa 9 a) du Code de déontologie de l’ACR interdit la diffusion de la « violence gratuite sous quelque forme que ce soit » et interdit également d’endosser, d’encourager ou de glorifier la violence. Le Comité reconnait que le contenu en question n’a ni endossé, ni encouragé ni glorifié l’acte de violence qui y est décrit, mais il estime qu’il constitue toutefois de la violence gratuite aux termes du Code. Bien que le Comité considère que les animateurs avaient entièrement le droit de discuter en ondes des meurtres commis au Mexique, il est d’avis que leur ton désinvolte et le luxe de détails scabreux sur l’état des cadavres qu’ils ont utilisés n’apportaient rien à la discussion et constituaient en fait la diffusion de violence gratuite en violation de l’alinéa 9 a) du Code de déontologie de l’ACR.
De plus, le Comité constate que les animateurs ont traité un incident grave, violent et tragique à la légère. D’ailleurs, le radiodiffuseur a admis dans sa lettre que les animateurs tentaient [traduction] « d’injecter un peu de légèreté ». Les meurtres en question, sont de vrais incidents impliquant de vraies personnes liés à un problème sérieux pour le Mexique– la drogue et la violence liée aux gangs. Le CCNR ne dit pas qu’il est toujours inacceptable de traiter les questions sérieuses avec humour, mais il avertit les radiodiffuseurs qu’ils doivent agir prudemment lorsqu’ils s’aventurent dans cette voie. Dans des décisions précédentes, le CCNR a noté que la tragédie articulée sur l’humour risque d’enfreindre le Code.[1] Dans la présente affaire, le Comité juge que les animateurs ont fait preuve d’un manque de sensibilité sans bornes et qu’ils ont franchi les limites du simple mauvais goût avec leurs éclats de rire constants et leurs nombreuses blagues au sujet des victimes et il conclut que ce contenu constitue des commentaires inappropriés qui vont à l’encontre de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR.
Réceptivité du radiodiffuseur
Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Même si le Comité s’est lui-même déclaré en désaccord avec le point de vue du radiodiffuseur dans la présente affaire, il n’empêche que CFNY-FM a donné une réponse complète au plaignant. Le radiodiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif. Rien de plus n’est exigé de sa part dans ce cas-ci.
L’Annonce de la décision
CFNY-FM est tenue 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute dans un délai de trois jours suivant sa publication et une autre fois dans les sept jours suivant sa publication dans le créneau dans lequel elle a diffusé le Dean Blundell Show, mais pas le même jour que la première annonce obligatoire; 2) de fournir, dans les quatorze jours suivant la diffusion des deux annonces, une confirmation écrite de cette diffusion au plaignant qui a présenté la Demande de décision; et 3) d’envoyer au même moment au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant la diffusion des deux annonces.
Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CFNY-FM The Edge a violé le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs lorsqu’elle a diffusé l’épisode du 15 septembre 2011 du Dean Blundell Show, dans lequel les animateurs ont fait des blagues au sujet de meurtres commis au Mexique. Ils ont donné des détails explicites sur ces meurtres, violant ainsi l’alinéa 9 a) du Code de déontologie de l’ACR. De plus, ils ont traité la situation à la légère contrairement à l’article 6 dudit Code.
La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.
[1] CHMJ-AM concernant une séquence diffusée dans le cadre de Loveline (Décision du CCNR 02/03-0459, rendue le 22 juillet 2003); CIGL-FM concernant des commentaires de l’animateur (Pygmées) (Décision du CCNR 02/03-0514, rendue le 10 février 2004); et CJKR-FM concernant une parodie diffusée dans le cadre d’une émission matinale (Osborne 24) (Décision du CCNR 03/04-0393, rendue le 1er novembre 2004).