LES FAITS
Le Show Tard est une émission de radio parlée animée par Mario Tremblay et diffusée à l’antenne de CHOI-FM (Radio X, 98,1, Québec) de lundi au vendredi de 21 h à minuit. Le 20 avril 2012 l’animateur recevait le psychiatre Pierre Mailloux mieux connu sous le nom de « Doc Mailloux » comme invité pour répondre aux questions des auditeurs.
Un auditeur a téléphoné pour demander conseil au Doc Mailloux sur la façon de se comporter avec sa petite amie qui, selon ses dires, était de plus en plus jalouse et agressive. En réponse aux questions du Doc Mailloux le jeune homme a révélé que lui et sa petite amie étaient tous les deux âgés de 21 ans, qu’ils formaient un couple depuis 10 ans et qu’ils avaient eu leur première relation sexuelle à l’âge de 13 ans. Le Doc Mailloux a réagi ainsi à cette information (une transcription plus complète du dialogue est disponible à l’annexe A) :
Mailloux : Ahhh, pathétique! De qu-, quel coin de la tribu vous d’venez? Sacrement! Mais c’est des vrais animaux! C’est aussi pire qu’Haïti!
Auditeur : Ouais malheureusement, [?] c’est, c’est [?] –
Mailloux : Sacrement! Aussi pire qu’Haïti, c’est pathétique! Dans quel coin vous d’venez?
Auditeur : Ah bin là moi j’viens du Québec!
[...]
Mailloux : Mais quelle tribu! [son de téléphone qui raccroche] Aïe, ça s’accouple pis ça vient même pas!
Le CCNR a reçu une plainte en date du 20 avril de la part d’un auditeur qui a qualifié les propos du Doc Mailloux de racistes à l’égard des Haïtiens. CHOI-FM a répondu au plaignant le 1er mai, en faisant valoir que les critiques du docteur Mailloux ne visaient que le jeune couple, pour avoir eu des relations sexuelles à un si jeune âge, et que ses références à « animaux, tribu ou Haïti se voulaient caricatural et visaient l’instinct animal (pulsions), et des peuples défavorisés et parfois, malheureusement, sous-développés. » CHOI-FM a insisté sur le fait que le docteur Mailloux n’avait pas dit de façon directe que « les Haïtiens étaient des animaux et, avec égard, les propos, pris dans leur contexte, n’ont pas de connotations racistes ». Le plaignant a déposé sa demande de décision le 2 mai. Il y a indiqué qu’il n’acceptait pas le raisonnement de CHOI-FM et qu’il continuait de croire que les propos du Doc Mailloux étaient racistes. (Le texte intégral de toute la correspondance est disponible à l’annexe B.)
LA DÉCISION
Le Comité régional du Québec a étudié la plainte à la lumière des articles suivants du Code de déontologie et du Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :
Code de déontologie de l’ACR, Article 2 – Droits de la personne
Reconnaissant que tous et chacun ont droit à la reconnaissance complète et égale de leurs mérites et de jouir de certains droits et libertés fondamentaux, les radiotélédiffuseurs doivent veiller à ce que leur programmation ne renferme pas de contenu ou de commentaires abusifs ou indûment discriminatoires quant à la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou le handicap physique ou mental.
Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 2 – Droits de la personne
Reconnaissant que tous et chacun ont droit de jouir complètement de certaines libertés et de certains droits fondamentaux, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne présentent aucun contenu ou commentaire abusif ou indûment discriminatoire en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.
Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 3 – Représentation négative
Pour assurer une représentation adéquate de tous les individus et tous les groupes, les radiodiffuseurs doivent éviter de présenter sur les ondes des représentations indûment négatives des individus en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental. Une telle représentation négative peut prendre plusieurs formes, incluant, entre autres, les stéréotypes, la stigmatisation et la victimisation, la dérision au sujet des mythes, des traditions ou des pratiques, un contenu dégradant et l’exploitation.
Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 4 – Stéréotypes
Reconnaissant que les stéréotypes constituent une forme de généralisation souvent et, de façon simpliste, dénigrante, blessante ou préjudiciable, tout en ne reflétant pas la complexité du groupe faisant l’objet du stéréotype, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne renferment aucun contenu ou commentaire stéréotypé indûment négatif en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.
Code de l’ACR sur la représentation équitable, Article 7 – Contenu dégradant
Les radiodiffuseurs doivent éviter de présenter un contenu dégradant, qu’il s’agisse de mots, de sons, d’images ou d’autres moyens, qui est fondé sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental.
Les membres du Comité ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté la séquence en question. Le Comité conclut à l’unanimité que la diffusion a enfreint toutes les dispositions mentionnées ci-dessus.
En effet, quoi qu’en pense le radiodiffuseur, le Comité estime que les propos du Doc Mailloux, lorsque, commentant le fait que les deux jeunes en question ont eu leur première relation sexuelle à 13 ans, il dit en ondes « Ahhh, pathétique! De qu-, quel coin de la tribu vous d’venez? Sacrement! Mais c’est des vrais animaux! C’est aussi pire qu’Haïti! » [c’est nous qui soulignons] constituent un contenu ou des commentaires abusifs et indûment discriminatoires fondés sur la race et l’origine nationale et ethnique, en violation des dispositions de l’article 2 du Code de déontologie de l’ACR et de l’article 2 du Code de l’ACR sur la représentation équitable.
Personne ne croira qu’il s’agit là de références anodines aux « pulsions » des « peuples défavorisés et parfois, malheureusement, sous-développés » comme le soutient la station, à plus forte raison quand ces propos émanent du docteur Mailloux, un médecin spécialisé en psychiatrie. Même si le Doc Mailloux ne dit pas en toutes lettres « les Haïtiens sont des animaux », le sous-entendu est au même effet, d’autant plus qu’il en rajoute pour faire bonne mesure « Sacrement! Aussi pire qu’Haïti, c’est pathétique! Dans quel coin vous d’venez? » Ces propos sont méprisants et dégradants envers les gens d’origine haïtienne et constituent, selon le Comité, une représentation négative des gens d’origine haïtienne en violation des dispositions de l’article 3 du Code de l’ACR sur la représentation équitable et une généralisation dénigrante et stéréotypée en violation des dispositions de l’article 4 du même code.
Le Comité conclut enfin que l’ensemble des propos tenus par le Doc Mailloux dans cette séquence du 20 avril 2012 constitue un contenu dégradant fondé sur la race et l’origine ethnique et nationale des haïtiens en violation des dispositions de l’article 7 du Code de l’ACR sur la représentation équitable.[1]
Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, CHOI-FM a envoyé une réponse détaillée expliquant son point de vue au plaignant. Le radiodiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif et, sous réserve de l’annonce de cette décision, rien de plus n’est exigé de sa part dans ce cas-ci.
L’Annonce de la décision
CHOI-FM est tenu 1) de faire connaître la présente décision selon les conditions suivantes : une fois pendant les heures de grande écoute dans un délai de trois jours suivant sa publication et une autre fois dans les sept jours suivant sa publication dans le créneau dans lequel il a diffusé Le Show Tard, mais pas le même jour que la première annonce obligatoire; 2) de fournir, dans les quatorze jours suivant les diffusions des deux annonces, une confirmation écrite de cette diffusion au plaignant qui a présenté la Demande de décision; et 3) d’envoyer au même moment au CCNR copie de cette confirmation accompagnée du fichier-témoin attestant les diffusions des deux annonces.
Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision a jugé que CHOI-FM a violé le Code de déontologie et le Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs dans sa diffusion du Show Tard le 20 avril 2012. L’émission contenaient des commentaires abusifs et indûment discriminatoires à l’égard d’un groupe national et ethnique en violation des dispositions des articles 2 des deux codes. Les commentaires constituaient également une représentation indûment négative, stéréotypée et dégradante du groupe en violation des dispositions des articles 3, 4 et 7 du Code sur la représentation équitable.
La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision.
[1] Voir les décisions suivantes pour d’autres exemples de commentaires qui ont violé une ou plusieurs de ces mêmes dispositions : CKVL-AM concernant l’émission d’André Arthur et Martin Paquette (Décision du CCNR 98/99-1184, rendue le 21 février 2000); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Difficultés financières) (Décision du CCNR 05/06-1405, rendue le 11 décembre 2006); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Argent) (Décision du CCNR 05/06-1379, rendue le 11 décembre 2006); CKAC-AM concernant un épisode de Doc Mailloux (Sans enfants) (Décision du CCNR 05/06-1671, rendue le 11 décembre 2006); CKAC-AM concernant Doc Mailloux (six épisodes) (Décision du CCNR 06/07-0168 et -0266, rendue le 23 août 2007); et CHOI-FM concernant Dupont le midi (Haïti) (Décision du CCNR 09/10-0854, rendue le 23 septembre 2010).