CHOI-FM concernant Maurais Live (réforme du bien-être social)

COMITÉ RÉGIONAL DU QUÉBEC
Décision du CCNR 11/12-0609
22 juin 2012
D. Meloul (présidente), G. Moisan (vice-président), A. H. Caron, V. Dubois, M. Ille, J. Pennefather (ad hoc)

LES FAITS

Maurais Live est une émission-débat diffusée sur les ondes de CHOI-FM (Radio X, 98,1 FM, Québec) de 9 h 30 à midi du lundi au vendredi. Dominic Maurais en est l’animateur et il discute, avec la participation du coanimateur J.-C. Ouellet, de nouvelles et de divers sujets d’actualité. Ils prennent également des appels de temps à autre.

Le 2 mai 2011 à 11 h 10, M. Maurais a interviewé Madame Shaunna O’Connell, députée à la Chambre des représentants du Massachussets aux États-Unis. Le gouvernement du Massachussets venait tout juste d’adopter des mesures visant à empêcher les récipiendaires d’aide sociale de dépenser leur allocation d’aide sociale pour des biens tels l’alcool, le tabac et les billets de loterie. Mme O’Connell participait à l’émission pour discuter de ces nouvelles mesures. En réponse aux questions de M. Maurais, elle a expliqué le fonctionnement de la loi et les motifs pour lesquels elle a été adoptée, à savoir stopper les abus concernant le système d’aide sociale.

Mme O’Connell ne parlant pas français, M. Maurais a réalisé l’interview en anglais. À intervalle régulier le coanimateur, M. Ouellet traduisait l’échange entre M. Maurais et Mme O’Connell pour le bénéfice des auditeurs de CHOI-FM. En fait, M. Ouellet résumait à grands traits les propos échangés entre l’animateur et son invitée plutôt que de faire une traduction mot à mot de la conversation. Mme O’Connell a expliqué que la nouvelle législation avait été adoptée suite à certains rapports révélant que les sommes reçues par certains assistés sociaux étaient utilisées pour acquérir des biens autres que des biens de première utilité. La nouvelle législation a donc pour but de pénaliser les bénéficiaires d’aide sociale qui utilisent les montants reçus à des fins inappropriées afin que ceux qui en ont vraiment besoin puissent en bénéficier. Lorsqu’il a traduit cette partie de l’entretien, M. Ouellet a ajouté « mais probablement c’est des enfants qui payaient là, qui paient, qui avaient pas accès à la bouffe qui a du sens ou au logement, euh, décent. »

En fait les deux animateurs y sont allés de remarques de leur crû durant cette séquence. Par exemple, en présentant le sujet de l’interview M. Maurais, en référence à la loi du Massachussets, a dit « ça serait formidable de l’appliquer ici ». Puis à la fin de l’entrevue il a réitéré son opinion en disant qu’au Québec, il ne faut pas célébrer ce mode de vie, c’est-à-dire le bien-être social. Il a par la suite répondu à des appels d’auditeurs dont celui d’une personne relatant son expérience comme bénéficiaire d’aide sociale. Cet auditeur a fait des commentaires du genre « C’est où la fierté là-dedans? » et « dans un quartier, […] dans le coin de BS, […] ça se traine, ça boit, ça se bat, ça scrappé mon char » (une transcription complète de cette séquence se trouve à l’annexe A).

Le CCNR a reçu une plainte en date du 8 novembre 2011 du Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ), soit plus de six mois après la diffusion de l’émission. Le FCPASQ soutient que l’émission en question véhiculait de « l’information fausse et trompeuse ». L’organisme affirme aussi que les animateurs ont émis leurs propres opinions sous le prétexte de traduire les réponses de Mme O’Connell et qu’ils ont tenu des propos discriminatoires à l’endroit des bénéficiaires d’aide sociale. Le FCPASQ se plaint d’autre part du fait que M. Maurais aurait affirmé qu’il y a également des abus en lien avec le système d’aide sociale au Québec, comme ceux qui ont été constatés au Massachussetts et qu’il aurait suggéré que le « mode de vie » de BS est « célébré » au Québec. Le FCPASQ s’est enfin dit inquiet des commentaires formulés par un des auditeurs qui auraient eu pour effet de stigmatiser les bénéficiaires d’aide sociale de façon négative.

Avant de prendre contact avec le CCNR, le FCPASQ a envoyé une lettre directement à CHOI-FM. La station a envoyé une courte réponse dans laquelle elle indique qu’elle traite toutes les plaintes avec sérieux et qu’elle a discuté de cette affaire avec les animateurs. Une fois le CCNR au dossier, CHOI-FM lui a fait parvenir une copie de cette réponse. Le FCPASQ a déposé sa Demande de décision le 20 décembre 2011. (Une copie de toute la correspondance au dossier se retrouve à l’annexe B.)

LA DÉCISION

Le Comité régional du Québec a étudié la plainte à la lumière de l’article 6 du Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) qui se lit comme suit :

Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée

C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission-débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.

Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont écouté la séquence qui fait l’objet de la plainte. Le Comité conclut que la diffusion n’a pas violé l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR.

Les membres du Comité ont d’abord tenu à souligner qu’à leur avis cette plainte était tardive. Les radiodiffuseurs ont l’obligation de conserver les fichiers-témoins des émissions pour une période de 28 jours. Au-delà de cette période ils sont en droit de les effacer ou de les détruire ou, plus vraisemblablement, de réenregistrer d’autres émissions sur les mêmes fichiers-témoins, effaçant du même coup ce qui y était enregistré avant. La lettre envoyée par la plaignante à CHOI-FM portait la date du 4 octobre 2011, soit plus de 5 mois après la diffusion et sa plainte au CCNR est datée du 8 novembre, soit plus de six mois après les faits reprochés.

Les membres du Comité ont toutefois étudié le dossier à son mérite. Ils ont noté que les animateurs auraient pu avertir leurs auditeurs que l’entrevue, menée en anglais, serait résumée en français plutôt que d’utiliser le terme « translate » qui signifie « traduire » en français. Toutefois le radiodiffuseur n’avait pas l’obligation de traduire cette entrevue et les résumés faits par le coanimateur reflétaient, à l’exception du commentaire sur les enfants mentionné ci-dessus, les réponses de l’invitée. D’autre part le Comité note qu’il aurait été préférable que les animateurs indiquent aux auditeurs qu’ils ajoutaient des commentaires de leur crû tout en résumant les propos de leur invitée. Toutefois, là encore, ne pas le faire n’entraîne pas automatiquement une violation des dispositions du Code : encore faut-il que ces commentaires dénaturent les propos de l’invitée et soient de nature à induire le public en erreur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le Comité conclut donc à l’unanimité que CHOI-FM n’a pas violé les dispositions de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR en faisant un résumé en français des propos échangés en anglais entre l’animateur et son invitée et en y insérant des commentaires des animateurs. Le Comité rappelle toutefois à CHOI-FM qu’il est préférable de faire des mises en garde dans ces cas.

D’autre part le Comité considère que les propos tenus par les animateurs et par un des auditeurs au sujet d’abus relatifs au système d’aide sociale ne violent pas non plus les dispositions du Code parce que les animateurs n’ont pas indiqué, dans leurs commentaires, que tous les bénéficiaires d’aide sociale abusaient du système. Pour le Comité, il s’agit plutôt d’une critique légitime sur le laxisme entourant la gestion des programmes d’aide sociale.[i] Quant aux propos de l’auditeur mentionné plus haut, il n’a pas, lui non plus, fait de généralisation à propos des bénéficiaires d’aide sociale, et il a par ailleurs admis avoir été lui-même prestataire d’aide sociale alors qu’il traversait une mauvaise passe et que « c’est bin correct ». Le Comité conclut donc à l’unanimité que les commentaires des animateurs et ceux d’un auditeur ne constituaient pas une violation des dispositions de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR sur la présentation complète, juste et appropriée.

Réceptivité du radiodiffuseur

Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans la présente affaire, et compte tenu du long délai entre la diffusion de l’émission et la formulation de la plainte, CHOI-FM a donné une réponse adéquate, quoique brève, au plaignant. Le radiodiffuseur a donc respecté son obligation de se montrer réceptif. Rien de plus n’est exigé de sa part dans ce cas-ci.

La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision. La station à l’égard de laquelle la plainte a été formulée est libre de la rapporter, de l’annoncer ou de la lire sur les ondes. Cependant, là où la décision est favorable à la station, comme c’est le cas dans la présente affaire, celle-ci n’est pas obligée d’annoncer le résultat

[i] Voir les décisions suivantes dans lesquelles le CCNR a affirmé que la critique visant les politiques du gouvernement et les établissements politiques s’incrivent dans la portée du principe de la liberté d’expression : CJMF-FM concernant l’émission L’heure de vérité avec André Arthur (Décision du CCNR 99/00-0240, rendue le 29 août 2000); CJMF-FM concernant une entrevue dans le cadre de Bouchard en parle (Décision du CCNR 04/05-1852, rendue le 3 février 2006); CJMF-FM concernant un commentaire diffusé dans le cadre de Bouchard en parle (Décision du CCNR 05/06-0326, rendue le 3 février 2006); et TQS concernant un épisode de L’Avocat et le diable (accommodements) (Décision du CCNR 05/06-1605+, rendue le 11 décembre 2006).