LES FAITS
Un constable du service de police régionale de York (dans la région du Grand Toronto) s’est fait coincé sous une mini-fourgonnette qui s’est renversée sur lui lorsqu’il tentait d’arrêter le conducteur de ce véhicule tôt le matin du 28 juin 2011. Quoique gravement blessé, il a réussi à appeler du secours par radio et à parler brièvement à la répartitrice. Il est mort à l’hôpital un peu plus tard.
CIII-TV (Global Toronto) et CHCH-TV ont toutes deux présenté cette nouvelle dans le cadre de leur téléjournal de début de soirée (la transcription et la description des émissions se trouvent à l’annexe A en anglais seulement). Dans leurs reportages, les deux stations ont identifié le policier en question et présenté des extraits audio de sa radiotransmission. On y entendait l’agent dire à la répartitrice qu’il était coincé sous un véhicule, que cela faisait mal et qu’il s’inquiétait de l’état des gens dans la fourgonnette. Les reportages de Global faisaient également état de détails sur sa famille, diffusaient une déclaration du chef du service de la police régionale de York et des entrevues avec des gens touchés par cette tragédie et apportaient des précisions, disponibles au moment de la diffusion, sur les circonstances entourant l’incident.
Le chef d’antenne de Global a averti les téléspectateurs du contenu troublant des extraits audio de l’appel de détresse fait par le constable avant de les présenter. Les mots [traduction] « Avertissement : sujet troublant » ont également paru à l’écran. Chez CHCH-TV, le chef d’antenne a également donné un avertissement verbal semblable.
Le chef de la police régionale de York a porté plainte au CCNR le 30 juin au sujet de ces reportages (le texte intégral de sa lettre et de toute la correspondance y afférente se trouve à l’annexe B en anglais seulement). Il s’opposait au fait que les stations aient diffusé la radiotransmission de la conversation du constable, blessé mortellement, dont la souffrance et la détresse étaient évidentes. Selon lui, la décision de diffuser ce contenu était [traductions] « impitoyable » et a causé « davantage d’angoisse » à la famille et aux collègues affligés du constable. À son avis, les télédiffuseurs auraient dû informer le public de l’incident par un moyen plus approprié, tout en respectant les droits du défunt et de sa famille. Il a également indiqué dans sa plainte que les stations ont agi contrairement à l’éthique et ont [traduction] « fait preuve de sensationnalisme », en ajoutant qu’il n’avait pas autorisé [traductions] « la publication de ces radiotransmissions » et ne l’aurait pas fait « dans ces circonstances tragiques ».
Dans cette première lettre, le plaignant n’a pas fourni les dates et les heures spécifiques desdits reportages, renseignements dont le CCNR a besoin pour amorcer son processus officiel de règlement des plaintes. Il a communiqué ces données le 25 juillet et a fait référence à un certain nombre de télédiffuseurs dans cette deuxième lettre, notamment les deux télédiffuseurs en cause en cause dans la présente décision ainsi que CITY-TV et CFTO-TV (CTV Toronto), lesquels font l’objet d’une décision distincte parce qu’ils ont présenté l’incident de manière différente.[1]
Dans leurs réponses au chef de police, Global Toronto et CHCH-TV ont expliqué que la décision de diffuser la bande audio de la radiotransmission de l’agent ne s’est prise qu’après mûre réflexion et des discussions sérieuses. Ayant conclu que l’enregistrement était dans l’intérêt public et qu’il témoignait du sang-froid, du professionnalisme et de l’altruisme du policier malgré son intense souffrance physique, elles ont présenté les reportages dans ce contexte. Les deux stations ont fait remarquer qu’étant donné que les transmissions non cryptées avaient été faites sur les ondes publiques, n’importe qui syntonisant cette fréquence aurait pu les capter.
Le chef de police a répondu en indiquant qu’il était insatisfait de toutes les réponses données par les télédiffuseurs. Il a soutenu que les stations ont enfreint le Code de déontologie de l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées (ASNNR) et a réitéré qu’à son avis le fait de diffuser l’appel de détresse était [traduction] « une atteinte impitoyable à la vie privée » dans le but d’empreindre l’incident de sensationnalisme.
LA DÉCISION
Le Comité régional de l’Ontario a étudié la plainte à la lumière des dispositions suivantes du Code de déontologie de l’Association des services de nouvelles numériques et radiotélévisées (ASNNR), ainsi que du Code de déontologie et du Code concernant la violence de l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) :
Code de déontologie de l’ASNNR, Article 4 – Vie privée
Les journalistes des services électroniques respecteront la dignité, la vie privée et le bien-être des personnes avec qui ils traitent; ils mettront tout en œuvre pour s’assurer de manière raisonnable que la collecte d’information et sa diffusion ne constituent en aucune façon une violation de la vie privée à moins que ce ne soit nécessaire dans l’intérêt public. Les techniques clandestines de cueillette de nouvelles ne devraient être utilisées que pour assurer la crédibilité ou l’exactitude de l’information qui soit dans l’intérêt public de diffuser.
Code de déontologie de l’ASNNR, Article 8 – Réserve et conduite
Les journalistes des services électroniques useront de tact dans leurs rapports avec les personnes et les sources avec qui ils font affaire. Ils feront particulièrement attention d’user de sensibilité dans leurs échanges avec les enfants. Ils se montreront courtois et pleins d’égards envers autrui, prenant les dispositions pour que le processus de cueillette d’information nuise le moins possible. Ils feront tout en leur possible pour que leur présence ne soit pas de nature à fausser le caractère ou l’importance des événements.
Code de l’ACR concernant la violence, Article 6.0 – Nouvelles et émissions d’affaires publiques
6.1 Les télédiffuseurs doivent faire preuve de discernement dans les reportages de scènes de violence, d’agression ou de destruction qu’ils présentent aux nouvelles et dans leurs émissions d’affaires publiques.
6.2 Il faut faire preuve de circonspection dans le choix et la présentation répétée d’images présentant des scènes de violence.
6.3 Les télédiffuseurs doivent informer à l’avance les téléspectateurs de la présentation de scènes de violence qui sortent de l’ordinaire ou de reportages qui font état de sujets délicats comme l’agression sexuelle, ou les poursuites judiciaires liées à des crimes sexuels, et ce plus particulièrement pendant les bulletins de nouvelles ou les dépêches de l’après-midi ou du début de soirée, que les enfants pourraient regarder.
6.4 Les télédiffuseurs doivent faire preuve de discernement dans l’utilisation des termes explicites ou crus liés aux reportages qui contiennent des actes de destruction, des accidents ou des actes de violence sexuelle pouvant perturber les enfants et leur famille.
[...]
6.6 Bien que les télédiffuseurs doivent prendre soin de ne pas exagérer ni d’exploiter les aspects de l’agression, du conflit ou de la confrontation présentés dans le reportage, ils doivent aussi veiller à ne pas édulcorer les réalités de la condition humaine.
Code de déontologie de l’ACR, Article 6 – Présentation complète, juste et appropriée
C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée. Ce principe s’applique à toute la programmation de la radio et de la télévision, qu’il s’agisse des nouvelles, des affaires publiques, d’un magazine, d’une émission‑débat, d’une émission téléphonique, d’entrevues ou d’autres formules de radiotélévision dans lesquelles des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des éditoriaux peuvent être exprimés par les employés du radiotélédiffuseur, leurs invités ou leurs interlocuteurs.
Les membres du Comité décideur ont lu toute la correspondance afférente et ont regardé les reportages en question. La majorité du Comité conclut que ni CIII-TV, ni CHCH-TV n’a enfreint les dispositions précitées. Un membre du Comité a exprimé une opinion dissidente à l’égard des articles 4 et 8 du Code de déontologie (journalistique) de l’ASNNR.
La majorité des membres du Comité a déterminé que la diffusion de l’enregistrement du constable ne viole pas l’article 4 portant sur la vie privée et l’article 8 portant sur la réserve et la conduite du Code de déontologie de l’ASNNR du Canada. En effet, l’appel de détresse a été fait sur les ondes publiques et il n’était pas crypté de sorte à empêcher le public à l’écoute de le capter.[2]
De plus, dans les deux cas, les télédiffuseurs ont pris la décision de diffuser l’enregistrement de celui-ci après avoir analysé l’impact de cette diffusion et avoir conclu qu’il était dans l’intérêt public et des forces de police, dans ce sens que ce contenu informait les téléspectateurs du haut degré de professionnalisme qui animait le constable dans l’exécution de ses fonctions et montrait, de façon plus générale, les circonstances auxquelles sont souvent confrontées les forces de l’ordre, circonstances qui, comme dans le cas sous étude, peuvent aller jusqu’au décès.
La majorité du Comité a déterminé que Global et CHCH-TV n’avaient pas à obtenir le consentement du chef de la police régionale de York avant de diffuser l’enregistrement du policier. En effet, cet enregistrement, non crypté, a été d’abord capté sur les ondes publiques puis reproduit sur Internet. Il était donc dans le domaine public et le chef de la police régionale de York n’était pas en mesure d’en autoriser ou non la diffusion.
Monsieur Braun ne partageait pas l’avis de la majorité au sujet du respect des articles 4 et 8 du Code de déontologie (journalistique) de l’ASNNR ni sur le fait que les stations en question n’avaient pas à obtenir le consentement du service de police pour diffuser l’enregistrement de l’appel du policier. Selon lui Global et CHCH-TV n’avaient pas à diffuser les dernières paroles d’un mourant. À son avis, les télédiffuseurs auraient plutôt dû paraphraser les dernières paroles du policier afin de se conformer aux dispositions relatives au respect de la vie privée, à la réserve et à la conduite du Code de déontologie (journalistique) de l’ASNNR du Canada.[3] Il estime également que même s’il est possible d’intercepter les radiotransmissions de la police à l’aide d’un scanneur, cela ne signifie pas que la police ait consenti, tacitement, à la diffusion du contenu. Selon lui, les télédiffuseurs auraient dû obtenir un consentement exprès avant de diffuser contenu l’enregistrement.
Compte tenu du fait que les dispositions concernant le sensationnalisme ont été abrogées lors de la révision du Code de déontologie de l’ASNNR du Canada en 2000, le CCNR s’appuie sur les dispositions de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR lorsqu’il traite une plainte de sensationnalisme.
Le Comité a déterminé, à l’unanimité, que Global et CHCH-TV n’avaient pas fait preuve de sensationnalisme dans le traitement de cette nouvelle. Au contraire, dans les deux cas, les télédiffuseurs ont fait ressortir le professionnalisme du policier qui, même souffrant de blessures graves, se préoccupait du sort des passagers de la fourgonnette qui venait de le renverser.
Cependant le Comité s’est montré inquiet du fait que, dans le cas de Global, le télédiffuseur ait décidé de reprendre la diffusion de cet enregistrement plusieurs fois durant le bulletin News Hour de 18 h sans toutefois conclure à une violation des dispositions de l’article 6 du Code de déontologie de l’ACR.
Le Comité a déterminé à l’unanimité que ni Global, ni CHCH-TV n’avait violé les dispositions de l’article 6 du Code de l’ACR concernant la violence parce que la diffusion de la bande audio des dernières paroles du constable a été faite dans l’intérêt public.
De plus Global et CHCH-TV ont fait les mises en garde appropriées à leurs téléspectateurs quant au contenu troublant du segment audio diffusé conformément au paragraphe 6.3 dudit Code.[4] Le Comité a de plus noté que ces mises en garde sont particulièrement importantes lorsque la diffusion a lieu au bulletin de nouvelles de début de soirée, à une heure où des enfants sont à l’écoute.
Enfin le Comité s’est inquiété du nombre de fois où Global a rediffusé le segment audio du constable pendant son bulletin de nouvelles mais a conclu que Global n’avait pas violé les dispositions du paragraphe 6.2 du Code de l’ACR concernant la violence.[5]
Réceptivité des télédiffuseurs
Dans toutes les décisions rendues par le CCNR, ses comités évaluent la mesure dans laquelle le radiodiffuseur s’est montré réceptif envers le plaignant. Bien que le radiodiffuseur ne soit certes pas obligé de partager l’opinion du plaignant, sa réponse doit être courtoise, bien réfléchie et complète. Dans ce cas-ci, Global Toronto a envoyé une longue lettre de réponse au plaignant même avant que ce dernier ait indiqué une heure et une date de diffusion spécifiques, et a envoyé une deuxième lettre plus tard dans le déroulement de cette affaire pour expliquer davantage sa position. CHCH-TV a, elle aussi, donné une réponse bien réfléchie et complète. Les deux télédiffuseurs ont respecté leur obligation en tant que membres du CCNR de se montrer réceptifs. Rien de plus n’est exigé de leur part dans ce cas-ci.
La présente décision devient un document public dès sa publication par le Conseil canadien des normes de la radiotélévision. La station à l’égard de laquelle la plainte a été formulée est libre de la rapporter, de l’annoncer ou de la lire sur les ondes. Cependant, là où la décision est favorable à la station, comme c’est le cas dans la présente affaire, celle-ci n’est pas obligée d’annoncer le résultat.
[1] CIII-TV (Global Toronto) et CHCH-TV concernant des diffusions d’une radiotransmission faite par la police (Décision du CCNR 10/11-2040 et -2187, rendue le 7 février 2012).
[2] Consulter les anciennes décisions suivantes du CCNR dans lesquelles il n’a conclu à aucune violation des dispositions sur la vie privée ou la dignité : CKEN-AM concernant un bulletin de nouvelles (Décision du CCNR 95/96-0134, rendue le 14 février 1997); CTV concernant la couverture de l’accident mortel en luge aux Jeux Olympiques d’hiver de 2010 (Décision du CCNR 09/10-0895+, rendue le 12 novembre 2010); et CHOI-FM concernant Dupont le midi (suicide) (Décision du CCNR 08/09-2041 et 09/10-1462, rendue le 23 septembre 2010).
[3] Consulter les anciennes décisions suivantes du CCNR dans lesquelles il a conclu à des violations des dispositions sur la vie privée ou la dignité de personnes sur le point de mourir : CHAN-TV (BCTV) concernant un bulletin de nouvelles (Meurtre dans le métro de Toronto) (Décision du CCNR 97/98-0383, rendue le 20 mai 1998); et CTV concernant un reportage du prononcé de sentence de Charles Ng (Décision du CCNR 98/99-1120, rendue le 22 mars 2000).
[4] Consulter les anciennes décisions suivantes du CCNR dans lesquelles il a déterminé que la couverture d’événements troublants n’a pas violé le Code de l’ACR concernant la violence et que le télédiffuseur a agi correctement en présentant des avertissements : CTV concernant Canada AM (Bizutage du Régiment Airborne), (Décision du CCNR 94/95-0159, rendue le 12 mars 1996); CTV Newsnet concernant un reportage (Meurtre d’un otage à Ryad) (Décision du CCNR 03/04-1817, rendue le 15 décembre 2004); et CTV concernant la couverture de l’accident mortel en luge aux Jeux Olympiques d’hiver de 2010 (Décision du CCNR 09/10-0895+, rendue le 12 novembre 2010).
[5] Consulter l’affaire suivante dans laquelle le CCNR a jugé que la présentation répétée de clips troublants posait un problème : CICT-TV concernant un reportage sur le Tour de France (Décision du CCNR 00/01-0982, rendue le 14 janvier 2002).